HISTOIRE D'ANEHO : DEUX TRÔNES DANS LA MÊME VILLE, UN IMBROGLIO FRANÇAIS SUR LA COTE DES ESCLAVES : LA VERSION DES ADJIGO ET ALLIES AU XXI è SIECLE, REVUE ET CORRIGEE
En l’an deux mil vingt-et-un (2021), le deuxième trône d’Anèho aura vécu deux-cents (200) ans. Les grandes manœuvres pour commémorer l’événement ont commencé, à Anèho et en France. Pour que l’opinion nationale et internationale ne prennent pas des vessies pour des lanternes, le Trône Royal Adjigo et Alliés se trouve dans l’obligation morale de donner sa version des mêmes « faits historiques ».
Cette réaction fait suite à la parution du Journal Libération du 28/03/2020 intitulée : « Règlement de compte à Aného, 1922 », par Jean-Pierre BAT, mise à jour le 28/03/2020.
LA DECOUVERTE DU SITE QUI DEVIENDRA LA VILLE D’ANEHO
L’ancêtre des ADJIGO, Kwamina Densu (dit QUAM DESSOU) travaillait sur une caravelle négrière, et, par une nuit de clair de lune de l’année 1666, la caravelle à bord de laquelle naviguait QUAM DESSOU croisait au large de la côte Sud-Est de l’actuel Togo et se trouva à court de vivres.
Ce fut un concours de circonstances qui amena Quam Dessou à poser les pieds sur cette plage de sable fin à l’endroit aujourd’hui appelé Anèho. Ce dernier, chef d’équipage sur une caravelle portugaise, faisait habituellement la navette avec ses compagons entre Elmina et Lagos au Nigéria, à cette époque du XVIIème siècle où le commerce des esclaves était florissant sur les côtes de l’Afrique occidentale. Il avait créé des succursales à Ouidah (Gléhoué) au Bénin, et à Gbadagri, au Nigéria.
QUAM DESSOU aperçut au loin quelques reflets lumineux qui, pour lui, ne pouvaient être que des feux de brousse signalant donc la présence humaine en ces lieux. Mais c’était plutôt des reflets de certains poissons, qui, au clair de lune, émettaient cette luminescence, ainsi que le font souvent les dauphins qui conduisent jusqu’à la côte des navigateurs égarés en pleine mer, ces poissons que les Adjigo appellent « Agbanvi » ont conduit l’embarcation de QUAM DESSOU jusqu’à quelques dizaines de mètres du rivage et ils n’eurent plus qu’à passer la barre à bord d’un canot plus petit.
Une fois à terre, QUAM DESSOU et ses compagnons dont l’un des plus connus était le nommé ASSAN, furent accueillis par des pêcheurs saisonniers XWLA (prononcer PLA) qui les conduisirent à Glidji en vue d’entrer en contact avec les GA, installés depuis peu dans la Région, en 1663. Leur Roi, OFORI BEMBENEEN (dit FOLI BEBE), toujours selon les travaux de recherche des historiens, s’est déclaré non habilité à céder à QUAM DESSOU des terres qui, à l’époque, relevaient de la suzeraineté du Roi des XWLA d’Agbanakin, Aholou Mèto AWOUSSAN. Ainsi, le Roi de Glidji les orienta vers le Roi des XWLA d’Agbanakin, Aholou Mèto AWOUSSAN qui concéda à QUAM DESSOU la bande de terre comprise entre la lagune et l’Océan Atlantique, de « GBEDJIN à l’Est, à 3 Km après la frontière de Sanvee Condji sur la route Lomé-Cotonou, jusqu’à GATCHIN à l’Ouest, à 1Km environ après le poste de péage de Vodougbé, en partant d’Anèho vers Lomé ».
En contrepartie, QUAM DESSOU apporta de l’argent (100 dollars américains), quelques sacs de cauris (Hotchikui), de l’alcool (un tonneau de Rhum) et du tabac. Cette possession est attestée par un document, ainsi que l’a déclaré dans son livre originel ADJIGOVI, l’Historien Messan Koffi Hubert KPONTON QUAM DESSOU (1905 – 1981).
Notons que ce droit de propriété détenu a pu permettre, vers 1760, à Sèkpon fils et héritier légitime du Roi d’Anèho, de vendre à Félix Francisco de SOUZA dit CHACHA la presqu’île d’Adjido qui s’étend de Hilla-Condji jusqu’à Landjo
Ayant donc satisfait aux exigences du droit coutumier vis-à-vis du Trône d’Agbanakin, et assuré de l’amitié du Roi de Glidji FOLI BEBE, c’est donc avec un sentiment de légitimité que QUAM DESSOU et ses premiers compagnons construisirent leurs demeures à Agbodji (place fortifiée), située entre le bureau des postes d’Anèho et la propriété des d’ALMEIDA à Aplayiho.
Ainsi, lorsque les femmes de Glidji venaient vendre leurs denrées aux nouveaux venus, elles disaient : « Nous allons vers les cases des Anè « (Mia yi Anè wo be hɔ gbɔ). Ce qui donna par contraction Anèho, nom que portera par la suite cette ville au moment de sa fondation…
Précisons qu’en arrivant sur l’espace appelé aujourd’hui Anèho, QUAM DESSOU a effectivement trouvé des pêcheurs XWLA (prononcer Pla) sur la lagune. Mais ceux-ci ne s’étaient pas installés là. Ils y venaient saisonnièrement pêcher. Ce sont eux d’ailleurs qui ont dirigé QUAM DESSOU vers Glidji, dont le Roi Foli Bebe 1er qui a indiqué au nouvel immigrant que la personne à consulter pour s’installer sur la côte était Aholou Mèto AWOUSSAN le Roi d’Agbanakin.
C’est lui qui contrôlait cet espace, étant lui-même sous la suzeraineté du Roi de Tado.
Ces informations historiques ont été reconfirmées au cours d’une visite qu’une délégation de Dignitaires dépêchée par l’actuel Roi Adjigo, Nana Anè Ohiniko Quam Dessou XV a effectuée en fin d’année 2015 au Trône Royal d’Agbanakin. Cette cité était effectivement le maître des lieux comme on l’entend clamer dans tous les jeux de tam-tam de la région ! Agbanakin ye gni ta toa, (Agbanakin est le maître des lieux)
C’est sur cette plage occupée par les Anè, ces piroguiers rompus dans le dangereux passage de la barre pour rejoindre la flotte des navires amarrés au large des côtes, devaient contrôler les transactions entre les négriers blancs et tous ceux qui proposaient de la marchandise…
Les Anè, les gens de l’Ouest d’Accra, sont ceux qui ont fondé Anèho. Ces Anè, ainsi dénommés par les Gâ d’Accra, sont en fait des Fanti de la région d’Elmina. C’est la raison pour laquelle les Européens prirent la fâcheuse habitude d’appeler tous ceux qu’ils croisaient à Anèho et son hinterland : Mina. Cette vérité historique est également à l’origine de l’ethnonyme guin-mina que l’on trouve dans les documents d’Histoire.
C’est une vérité historique que personne n’a jamais pu nier, et qu’Allemands, Anglais, Danois, Portugais et Français ont successivement reconnue exacte : les Fanti, sont les fondateurs légitimes d’Anèho. Kwamina Densu (dit QUAM DESSOU) est l’ancêtre fondateur historique d’Anèho (1666 / 1685), au cours de la deuxième moitié du 17ème siècle. Durant cette époque, Anèho va connaître le règne du seul Trône Royal ADJIGO & ALLIES, trône sur lequel cinq Monarques se sont succédés. Au cours de cette période, seuls les Adjigo ont régné sur la ville. Peu importe l’euphémisme « aputaga » par lequel le trône de Glidji les dénommai
t[1]. Voici la liste des Rois Adjigo qui dirigèrent seuls Aného :
QUAM DESSOU | 1666 - 1685 |
AHLONKO FOLI | 1689 - 1731 |
AHLIN | 1734 - 1759 |
SEKPON | 1760 - 1786 |
KOMLANGAN | 1789 - 1821 |
Cela fait au total, cent quarante-quatre (144) ans.
II. HISTORIQUE DU DEUXIEME TRONE A ANEHO : LES AKAGBAN
Le premier Akagban qui va donner la dynastie des LAWSON plus tard à Anèho, s’appelait ASSIADU, chasseur venu d’Accra. Il était issu du groupe ethnique des AKAGBAN de Nungo (NUGO/NINGO), et était accompagné de son fils Laté BEWU. Il vint se réfugier chez le roi Assiongbon Dandjin (ca 1733-1778), le troisième roi sur le trône de Glidji. Assiadu avait été installé à Agokpamé, avant de demander la main de la princesse Adaku de Glidji pour son fils. De cette union naquit Latévi Awoku, qui engendra Akuété Zankli (pp. 39 – 40, Histoire de Petit-Popo, par Fiɔ Agbano II). Le premier monarque des Akagban, fut Lawson Akuété Zankli (George Lawson 1er, 1834 – 1857), plus d’un siècle après la fondation de Glidji et d’Anèho. Ce n’est que bien après cette alliance matrimoniale et ses descendances que les Akagban migrèrent d’Agokpame à Anèho. Ils s’installèrent en un premier temps à Adanliakpo, autre dénomination de Fantekɔme, puis, en un second temps à Babadji, portion de terrain infestée de caïmans qui faisaient fureur/rage et attrapaient des gens, d’où la dénomination de LOLANME (forme syncopée de « elo lena ame ») ; ce fut grâce à la magnanimité des DJOSI, habitants historiques de DEKANME. Les TOUGBAN et les DJOSI peuvent témoigner de la véracité de ces faits ; car, si les Akagban avaient émigré de Nungo, banlieue d’Accra, en même temps que d’autres groupes ethniques à Anèho, nous aurions eu vraisemblablement un quartier dénommé Akagbankɔme dans la ville. Il est donc faux d’affirmer que Fantekɔme, quartier des Fanti, alias Adanliakpo, était le quartier des princesses Tougban ou Akagban. Habiter un quartier au cours de l’Histoire, ne veut pas dire qu’on en est le fondateur.
Le lien de sang des Akagban avec le trône de Glidji ne peut pas justifier l’autoproclamation d’un Lawson comme roi à Anèho. C’est en cela que résidait la forfaiture. Roi à Glidji ou à Agokpame, ça aurait passé ! Mais pourquoi à Anèho ? Les Ajavon, les d’Almeida, les da Silveira, les Gaba, etc ; ont eu des liens de sang avec le Trône Royal Adjigo de par leurs mères, filles de monarques adjigo sans pour autant s’autoproclamer roi à Anèho.
- LA DIFFICILE COHABITATION A ANEHO
La cohabitation entre les familles ADJIGO, leurs Alliés et le clan LAWSON, n’a pas été de tout repos, bien que certaines familles de ces deux entités ont pu sceller des alliances matrimoniales. On peut parler d’un clan Lawson en toute rigueur de termes, après la migration à BADJI, pour fonder la « New London/New Paradise », et non pas de la Famille LAWSON, comme on l’entend dire souvent.
Quelles ont été les causes des conflits fratricides à Anèho ?
Deux causes :
- Premièrement, la convoitise d’une des femmes du Vice-Roi Adjigo à Anèho, Komlangan, sous le règne du quatrième roi, Sekpon, souverain régnant sur le Trône Royal Adjigo au moment des faits.
Une fois devenu Roi sur le Trône Adjigo et Alliés, cinquième monarque confirmé, Komlangan mit à exécution sa vengeance. Le sort ayant été en sa défaveur, il dut quitter Anèho pour aller fonder Agoué.
Agoué de par ce fait, se vit attribuer le statut de principauté, et non pas celui d’une ex-colonie française. Pour l’histoire, rappelons que la principauté a été placée sous protection française de 1885 à 1960, soit pendant soixante-quinze (75) ans. Elle est passée dans le giron du Dahomey (Bénin) par une décision unilatérale de la France. Le problème est lié à celui de la frontière entre le Bénin et le Togo, le lieu où l’on a placé la douane entre les deux pays actuellement. Le fleuve Mono était la frontière naturelle entre les deux pays avant les indépendances.
- « La deuxième cause, de loin la plus importante, est le problème de la répartition des rentes des transactions entre Anèho, les bateaux européens et Glidji, après le déclin du Royaume du Genyi, royaume des Tougban du Togo », au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle.
A l’époque, le commerce d’esclaves était florissant et de nombreux négriers s’aventuraient sur la Côte du Bénin. (côte qui allait du Ghana jusqu’à Benin City au Nigéria).
C’était sous le règne d’AHLIN (1734-1759)[2] qu’était venu le capitaine LAW, un négrier. Ce dernier cherchait un garçon à emmener en Angleterre. Aucune mère de famille d’Aného n’a voulu confier son fils à LAW. Ce dernier a dû s’adresser à la famille régnante de GLIDJI et put emmener Latévi Awokou. A son retour, celui-ci prit le nom de son maître et se fit appeler LAWSON (fils de LAW). C’est la version la plus simpliste et la plus répandue à Anèho par les Lawson. Selon l’avis des historiens, « l’odyssée de Latévi Awoku », comme l’a décrit le Professeur Nicoué Lodjou GAYIBOR a été beaucoup plus complexe.[3]
« On était dans la première moitié du XVIIIè siècle. La traite battait son plein et Aneho commençait à devenir un centre commercial de plus en plus important. Pour développer leur champ d’action, les marchands européens demandaient aux souverains locaux des concessions afin de s’installer à terre, et surtout des interprètes qui puissent servir de trait d’union entre eux et les populations locales » (Gayibor, Le Genyi, p. 182). C’était le motif principal.
Ils s’adressèrent au Roi Ahlonko Foli (nous disons plutôt au Roi AHLIN qui a régné de 1734 à1759, souverain Adjigo contemporain d’Assiongbon Dandjin (1733-1778), pour qu’il leur confie un de ses enfants à éduquer en Europe à cet effet, mais essuyèrent un refus. [4]
A partir d’ici, commencent les conjectures.
- Ahlonko Foli (plutôt le roi AHLIN) aurait demandé aux européens de s’adresser au Roi de Glidji.
- « Selon d’autres versions, ces marchands se seraient directement adressés à ce dernier, sans passer par l’intermédiaire du chef de plage » (Gayibor 1977 : 6-7, 37-38).
- « Assiongbon Dandjin, ouvert aux idées nouvelles et conscient de la portée pratique d’une telle expérience, aurait bien aimé leur confier l’un de ses propres enfants, mais aucune de ses épouses ne voulait non plus laisser partir son fils (1). Il eut alors l’idée de s’adresser à son gendre Laté Bewu qui ne fit aucune difficulté pour remettre son fils Latévi Awoku alors âgé d’une vingtaine d’années, aux commerçants européens. Il fut confié au capitaine d’un vaisseau négrier anglais qui l’emmena en Angleterre (2) où il aurait passé quinze ans dans un collège avant de revenir à Aneho (3). Ce capitaine anglais aurait eu pour nom Law, disent les uns, il lui aurait donné son nom. Lawson était le nom du négrier, soutiennent d’autres (4). A la fin du séjour de son filleul en Angleterre, il lui aurait donné son nom, Lawson ».
« Pour d’autres encore, Lawson serait la corruption de l’expression « lost son » (5) : voyant l’enfant emmené sur les flots, les personnes présentes sur la plage auraient versé des larmes sur la perte de ce fils du pays que l’on ne reverrait sans doute plus jamais. D’après les Lawson, le capitaine anglais aurait embarqué deux jeunes gens à bord : leur ancêtre Latévi Awoku, et un membre du clan Adjigo. Mais ce dernier serait mort quelque temps avant leur retour au pays natal ».
« Il y a lieu cependant, écrit le Professeur Gayibor, de faire quelques réserves quant à la véracité d’une telle aventure qui ressemble fort à un conte de fée. En effet, Latévi Awoku a-t-il réellement séjourné en Angleterre ? Les remarques pertinentes d’un certain nombre d’auteurs laissent planer un doute là-dessus. C’est ainsi que selon AGBANO II, il aurait uniquement servi comme mousse sur le bateau négrier pendant quinze ans, le temps de connaître à fond la langue anglaise et les usages européens avant de revenir à Aneho » (Agbano II 1934 : 24). De son côté, ISERT qui l’a connu et fréquenté en 1784, affirme qu’il « fut dans sa jeunesse serviteur chez les Anglais et va même jusqu’à lui contester son instruction ; tout en reconnaissant en effet que Latévi Awoku parlait couramment trois langues européennes, il soutient par ailleurs que notre héros ne savait ni lire, ni écrire » (Isert 1793 : 120).[5]
Les notes infrapaginales de la page 183 ajoutent des lumières sur les affirmations :
- Les refus des épouses de roi s’expliquent par le fait que ces sociétés étaient semble-t-il, de régime matrilinéaire, et que les mères avaient alors toute autorité sur leurs enfants.
- Agbano II (p. 24) situe cet événement aux environs de 1740.
- Les traditions Lawson rapportent avec exagération qu’il aurait fréquenté le King’s College de Londres.
- D.E. SKINNER (1980,11) pense qu’il s’agirait plutôt de William Lawson, un négociant qui habitait sur la Côte de l’Or à l’époque.
- « Lost son », Fils perdu. Il est cependant peu probable que l’influence britannique ait été aussi importante dans la ville à l’époque pour que les gens y parlent anglais.
Hubert KPONTON disait dans ses récits : « LATEVI AWOKOU est donc très riche (revenu d’Angleterre avec beaucoup d’argent que son père d’adoption le capitaine LAW lui a remis pour la famille régnante de GLIDJI, mais qu’il aurait gardé …) et il commence à faire le commerce d’esclaves. Il devint une personnalité très importante de toute la côte du Bénin :
- à cause de son instruction,
- de la possibilité de parler le danois, le portugais, l’anglais,
- et à cause de sa fortune.
Ces trois avantages dont il jouit lui font minimiser la valeur des souverains du pays : le roi de Glidji et le roi d’Anèho (…) qui ne sont pas instruits » – (cf. ADJIGOVI édition de 2014, pp. 32 – 33).
Le roi Lawson VI reçu par Réné Coty
Les LAWSON se sentaient ainsi supérieurs aux autres Rois et leurs clans et ont réussi à faire nommer Frederick Body LAWSON, chef supérieur de la Ville d’Anèho en 1922 par le colon français BONNECARRERE à qui il aurait été dit que les ADJIGO sont germanophiles et n’aimaient pas les Français.
D’où les problèmes créés aux Adjigo et Alliés, sous le parrainage et par le pouvoir de l’administration coloniale française à l’époque, notamment par le gouverneur BONNECARRERE : persécutions, brimades, tortures, déportation, etc. [6]
La déportation des ADJIGO et ALLIES
La préface du Livre historique : Un épisode méconnu de la lutte anticoloniale au Togo, Résistance et déportation des Adjigo et Alliés (Aného) dans le cercle de Mango (1922 – 1926), édité en Août 2016, par le Trône Adjigo et Alliés, avec le concours des historiens togolais des Universités de Lomé et de Kara, retrace les diverses péripéties de la déportation en ces termes :
« Voici 90 ans, exactement le 26 septembre 1926, revenaient d’exil où ils avaient été envoyés en résidence obligatoire, douze ténors des familles Adjigo et Alliés. Pour avoir osé défier un gouverneur, Auguste François Narcisse Dominique Paul BONNECARRERE, dont ils récusèrent la nomination de Frederick Body LAWSON, comme Chef Supérieur de la ville d’Anèho, en lieu et place de James Amuzu Djaglidjagli BRUCE, pressenti par la communauté Adjigo et Alliés.
Le prédécesseur de BONNECARRERE, le Gouverneur WOELFE II, avait accepté la proposition des Adjigo et Alliés (Histoire de Petit-Popo, p. 119).
Venant d’être confirmé dans son premier poste de Gouverneur et surtout muni d’instructions fermes de Paris allant dans le sens d’un règlement de ce conflit au mieux des intérêts de la France, ce dernier devait réagir vivement avec célérité et sévérité, à ce qu’on pouvait alors qualifier de crime de lèse-majesté, au risque de déchoir aux yeux de ses supérieurs et de ses pairs.
Les faits sont connus et largement exposés dans les contributions des Enseignants-chercheurs, qui sont consignées dans le livre sus-indiqué. La colonisation, on le sait, est avant tout violence ; violence sur des populations envahies et mises sous tutelle sous de fallacieux prétextes que Rudyard Kipling, le chantre de l’impérialisme britannique, qualifiait de « fardeau de l’homme blanc » et qui peuvent se résumer sous la fameuse théorie des 3 C : « civiliser, christianiser, coloniser ».
Les faits de résistance sont également connus. Aussi bien pendant la conquête qu’au cours de la domination coloniale, des africains se sont dressés contre cette invasion et d’autres ont résisté à l’arbitraire colonial qui s’imposait partout comme principale méthode d’administration, au seul motif que les intérêts de la métropole devaient prévaloir sur toute autre considération, que seul le colonisateur avait raison envers et contre tous ceux qui osaient se dresser contre sa volonté, qui seule devait avoir force de loi. Et le colonisé, dont le seul tort a été d’avoir été vaincu et asservi, ne devait qu’obéir, « puisque tout cela se faisait pour le sortir de son ignorance ».
Et pourtant certains de ces colonisés avaient une longue tradition d’éducation à l’occidentale derrière eux. Tels les Gaba d’Aného dont les ancêtres avaient toujours été à l’école du Blanc en Gold Coast (actuel Ghana) et au Nigéria, avaient été des hommes d’affaires avisés, des hommes d’église, voire des clercs, au service des pouvoirs publics dans les territoires anglophones de la région, en Gold Coast et au Nigéria, comme le furent certains ancêtres des LAWSON en Sierra Leone et au Nigéria.
Mais les Gaba s’illustrèrent particulièrement dans la critique des travers de l’administration allemande au Togo, notamment dans les colonnes du Gold Coast Leader, un journal hebdomadaire paraissant à Cape Coast au début du XXè siècle. Il est certain que l’auteur de ces dizaines d’articles qui finirent par irriter l’administration allemande fut Agbota GABA, fils de Frank Kuassi GABA, un notable influent de la colonie, qui fut condamné pour ces articles et déporté au Cameroun, d’où il ne reviendra qu’au départ des Allemands.
La graine de la contestation avait ainsi déjà germé dans le cœur de ces « évolués » lorsqu’éclata l’affaire Adjigo.
Huit jours après l’élévation de Frederick Body Lawson au rang de Chef Supérieur de la ville d’Anèho, le clan Adjigo & Alliés faisait parvenir la première d’une longue série de protestations et de pétitions à BONNECARRERE libellée en ces termes : « Nous avons l’honneur de venir respectueusement protester contre votre décision concernant la royauté d’Anèho, votre décision ayant été prise à l’encontre de tout droit ».
A l’époque triomphante des empires coloniaux, il fallait avoir du cran, pour un sujet indigène, (expression consacrée pour désigner les Noirs) pour oser se dresser contre une décision non pas du Commandant de cercle déjà qualifié de « Roi de la brousse », mais contre un Gouverneur. L’outrecuidant sentait passer l’orage qui pouvait se manifester de plusieurs façons : mise au ban de la société, emprisonnement avec condamnation aux travaux d’intérêt général ou aux travaux forcés, renvoi du service public, bannissement, etc ; une vindicte qui parfois, comme dans le cas de ces Adjigo et de leurs Alliés, pouvait s’étendre à la famille toute entière.
Plusieurs résistants africains l’ont appris à leurs dépens. Ils furent tous bannis, déportés, mis en résidence obligatoire loin de leurs patries. C’est ainsi que se créèrent des lieux de déportation et de privation de liberté comme le furent Saint-Louis du Sénégal ou l’Île bagne de Ndjolé au Gabon, où furent internés l’Almany Samori Touré de Guinée, le Cheick Ahmadou Bamba du Sénégal, les rois Agoli-Agbo d’Abomey, Aja Kpoyizoun de Tado, Amangoua de Côte d’Ivoire, etc. Certains, comme Samori et Kpoyizoun, y trouvèrent la mort.
Malgré ces sombres perspectives, excipant de leurs droits inaliénables, les familles Adjigo et Alliées n’hésitèrent pas un seul instant. Ils osèrent braver le courroux du proconsul BONNECARRERE, mais en évitant de s’en prendre directement à la France : « Nous affirmons et nous protestons de demeurer les loyaux serviteurs de la République Française (…). Seules les idées préconçues de
M. BONNECARRERE l’empêchèrent de trouver en nous des amis et des collaborateurs, et sa politique agressive et d’une susceptibilité féminine, nous aliéna définitivement de sa sympathie et nous rendit réfractaires, non à la France, mais à sa personnalité nerveuse et rebelle, à son obstination et à ses préjugés tenaces » (Adjigovi 1933 : p. 35). Une telle position leur attira l’empathie et la sollicitude des milieux intellectuels et des journalistes occidentaux.
Pour avoir osé protester, ils furent, sans motif clairement mentionné dans l’Arrêté de mise en résidence obligatoire, déportés dans le cercle de Mango et acheminés sans délai (on leur laissa moins de 24 heures pour se préparer) par train jusqu’à Atakpamé, puis ils furent forcés de parcourir à pieds, malgré leur requête de payer eux-mêmes le reste du trajet en voiture, requête qui leur fut refusée, qui 185 km pour Sokodé, qui 314 km pour Mango, qui 499 km pour rejoindre Dapaong. Ce calvaire dura des jours et des jours. Ils furent ainsi répartis sur les quatre sites de Sokodé, Mango, Dapaong et Bogou, avec une allocation mensuelle, sous un régime de condamnés de droit commun, obligés d’exécuter plusieurs tâches quotidiennes.
Heureusement pour eux, le régime de mandat sous lequel était administré le Togo leur permit de se faire entendre et graduellement grâce aux pétitions, aux interventions de leurs avocats et des écrits dans la presse et certains ouvrages de l’époque, Paris dut donner des instructions à BONNECARRERE, afin de les rapatrier, sous la pression de la Société des Nations (SDN) et de l’opinion internationale, sans avoir formellement obtenu leur adhésion à sa politique, un consentement qui leur fut extorqué à leur retour, sous la menace de plus graves sévices et la réprobation de membres influents des Conseils de notables de Lomé et d’Aného.
Un tel évènement, unique dans l’histoire du Togo, mérite d’être connu et célébré, afin que la mémoire de cet épisode de lutte anticoloniale ne se perde dans la poussière de l’oubli. Les jeunes Togolais doivent apprendre et donc savoir ce que les générations qui les ont précédés ont fait pour l’édification de la nation togolaise ».
En dehors de ces faits relatifs à la déportation, d’autres exactions ont été commises sur les ADJIGO et leurs Alliés à Aného, mettant à rude épreuve, le meilleur vivre ensemble.
Nous taisons volontairement ces faits pour raison de notre volonté de préserver la paix et la cohésion sociales.
- COMMENT ENVISAGER LA COEXISTENCE PACIFIQUE A ANEHO ?
L’Histoire est écrite et elle est irréversible. Elle n’est pas l’œuvre des générations actuelles. Celles-ci n’ont qu’à la perpétuer et créer toutes les conditions possibles et imaginables pour créer le meilleur vivre ensemble à Anèho. Ce vivre ensemble doit être fait de compréhension et de tolérance. Il doit s’imposer à tous : clan, ethnie et peuple.
Il faut que chaque ethnie, peuple ou clan, reste dans les modalités de ses us et coutumes, au rang desquels ils sont pratiqués, entre autres : EKPANTCHONTCHON chez les ELA, EKPE SƆSƆ chez les GUIN et les AKAGBAN, BAKATUE ANÈZAN, introduit par les ADJIGO en 2016, et EPE EKPE chez les peuples qui se réclament de l’espace GUIN-MINA. L’introduction de Bakatue Anèzan enrichit ainsi la série des fêtes traditionnelles dans l’espace socio - culturel GUIN – MINA. On peut évoquer également l’assouplissement des rites de veuvage, pratiquement, chez tous les clans qui partagent l’espace GUIN - MINA. Chaque groupe doit respecter, surtout à Anèho, les prérogatives à lui assignées par l’Histoire.
Les Adjigo ne contestent pas le fait que, après l’indépendance, le Président Sylvanus OLYMPIO ait entériné le fait qu’il y ait deux « Trônes » à Aného, en 1961. C’est depuis ce temps, que l’on parle de deux Chefs traditionnels dans la ville d’Anèho.
V. LA FONDATION DU ROYAUME D’AGOUE ADJIGO
On ne peut pas séparer l’histoire d’Anεhↄ de celle d’Agoué Adjigo, d’Agbodrafↄ (Porto Seguro) et d’Adjido. Ces localités ont été créées les unes à la suite des autres, au cours de l’histoire de la ville d’Anεhↄ, après sa fondation.
D’après la tradition orale et écrite, les origines d’Agoué remontent aux événements tragiques qui secouèrent dans le premier quart du XIXè siècle, le milieu guin-mina tout entier, et plus exactement le royaume d’Anεhↄ. Les principaux auteurs de ces événements sont :
Komlangan, cinquième roi d’Anεhↄ (1812-1821). Il aurait été un roi intransigeant, cruel et impopulaire, lors de son règne à Anεhↄ. Il refusa de donner une part des recettes des taxes perçues sur les transactions de la plage au Royaume de Glidji. A Komlangan, il faut ajouter :
Akuété Zankli Bossou Lawson, quatrième fils de Latévi Awuku Lawson. Il est resté longtemps en Sierra Leone et en Angleterre où il fit ses études. A son retour, il s’installa à Anεhↄ auprès de son père à l’époque où Komlangan venait d’être sacré roi.
Francisco Félix de Souza dit Chacha, riche commerçant brésilien, installé sur la Côte des esclaves en 1770, d’abord à Ouidah, ensuite à Anèho, avant de retourner à Ouidah où il mourut.
Francisco Félix de Souza avait fourni argent, armes et munitions à Akuété Zankli Lawson pour combattre Komlangan. La poudrière de Komlangan avait été incendiée avant la déclaration de guerre. Komlangan dut fuir Anèho pour aller s’installer à Agoué. Etant un roi adjigo, la localité fut appelée Agoué Adjigo. C’est Francisco Félix de Souza qui avait donné le titre de « ahuanwɔtɔ » (chef de guerre) à Akuété Zankli Bossou Lawson, son guerrier à lui, en récompense à la punition infligée à Komlangan, au cours de cet incident survenu à Anεhↄ.18
Comme l’a relaté le Professeur Gayibor: « Akuété Zankli Bossou Lawson n’a pas pu poursuivre Komlangan, parce qu’ il manqua de provision. Tous ses partisans dont il avait loué les services l’avaient abandonné. Komlangan est mort à Agoué en 1821 et Assan lui succéda. Sa tombe /*ne se trouve donc pas à Anεhↄ (Lolanme), mais à Agoué.» (Gayibor 1990 : p. 199). (Dates d’autres guerres fratricides à Anèho : 1834 – 1860- 1863- 1881 et 1883). [7]
Telle a été l’histoire des deux trônes à Anèho. Il n’y a aucune gloire à tirer de ces guerres fratricides, étant donné qu’il y a eu, au cours des siècles, des brassages, des liens matrimoniaux, entre les divers groupes ethniques qui ont peuplé la ville d’Anèho, Glidji et le hinterland. Les GABA, qui ont pris une part importante dans la résistance aux velléités de Bonnecarrère, sont des TOUGBAN (dont une lignée descend d’une princesse ADJIGO, SOSSIVI, fille du onzième Souverain Adjgo, ANYAKU AGBO (1887-1891).Leurs noms figurent désormais à l’entrée du palais royal Adjigo et Alliés à Nlesi, à Aného, pour perpétuer leur mémoire et leur exprimer la profonde gratitude de la communauté Adjigo et Alliés.
Sources bibliographiques
- Fiɔ AGBANO II, Histoire de Petit-Popo et du Royaume Guin, (1934), (Préface et annotations de N.L. GAYIBOR), Lomé : EDL/UB (1ère éd. 1934),1981.
- Adjigovi, 1933, Privas, Imprimerie Moderne, par Messan Koffi (Hubert) Kponton Quam-Dessou.
- Adjigovi, par Messan Koffi (Hubert) Kponton Quam-Dessou, Témoignages et Documents Recueillis par Amouzouvi AKAKPO, Université du Bénin, Ecole des Lettres, Lomé, Département d’Histoire, Centre ‘Etudes et de Recherche de la Tradition Orale (CERTO), 2014.
- GABA, K.E., 1942, The history of Aneho, ancient and modern. Aneho, (m.s.), 303 p.
- GAYIBOR, N.L., 1986, Rivalités politiques et politique coloniale de la France au Togo. Textes et documents sur les conflits politiques à Aného de 1884 à 1960. Lomé, Université du Bénin, 105 p.
- GAYIBOR, N.L., 1991, Le Genyi : Un royaume oublié de la Côte de Guinée au temps de la traite des Noirs. Lomé, Haho et Paris, Karthala, 321 p.
- GAYIBOR, N.L., 1992, Traditions historiques du Bas-Togo. Niamey, CELHTO, 298 p.
- ISERT, P.-E., Voyages en Guinée et dans les îles caraïbes en Amérique, Paris ; Maradan, 1793.
- Nouvelle édition avec Avant-Propos de Mme CI.-H. PERROT, Professeur à la Sorbonne ; Introduction et notes de N. L. GAYIBOR, Paris Karthala,1989.
- Simone de SOUZA, La famille de Souza du Bénin-Togo, Cotonou, Les Editions du Bénin, 1990.
- SKINNER, D.E., Thomas George Lawson, African historian and administrator in Sierra-Leone, Standford : Hoover Institution Press, 1980.
- Trône royal Adjigo et Alliés, Un épisode méconnu de la lutte anticoloniale au Togo, Résistance et déportation des Adjigo et Alliés (Aného) dans le cercle de Mango (1922-1926), Aného, Août 2016.
- GAYIBOR N. L., 2014, Traite négrière et apparition d'une oligarchie mercantile sur les côtes de Guinée : la dynastie des Lawson de Petit-Popo (Aného, Togo), pp 153-175. ; in : SAUPI, G., Africains et européens dans le monde atlantique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 451 p.
[1] N.B. Quand on parle d’Aputaga, il faut prendre le soin de préciser les dates à Anèho. C’était une fonction qui existait à Ouidah au cours de la traite négrière, bien avant la fondation d’Anèho. Notre ancêtre Kwamina Densu (dit Quam Dessou) n’était pas « Aputaga » de qui que ce soit.
[2] D’après le Professeur Gayibor, AGBANO II (p.24) situe cet événement aux environ de 1740.
[3] Cf. Le Genyi, Un royaume oublié de la côte de Guinée au temps de la traite des Noirs, par Nicoué Lodjou Gayibor, Editions Haho (Togo) et Karthala (France),1990, pp. 182-184.
[4] Cette demande ne pouvait pas être adressée à AHLONKO FOLI mais plutôt au Roi AHLIN, souverain Adjigo contemporain d’ ASSIONGBON DANDJIN. Il y a un réel problème de dates dans cet imbroglio.
[5] Les dates avancées par les Lawson ne concordent pas, au sujet du retour de Latévi Awoku. Les uns disent 1750, d’autres 1753, 1745, etc. Mais selon Agbano II (p.26), Assiongbon Dandjin serait mort trois jours avant le retour de Latévi Awoku.
[6] Voir également Le Genyi de Gayibor, p.185 (note 2 en bas de page) et Agbano II : pp. 23-26, sur la fortune de Latévi Awoku.
[7] Les Lawson n’ont pas enterré la tête de Komlangan à Lolanme, comme ils le racontent à leurs enfants. Il faut avoir tué Komlangan à Agoué, avant de lui couper la tête pour l’enterrer à Anèho.
Source : d'après les instances du trône Adjigo et Alliés à Aného
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